Nathaël était allongé sur son lit, écouteurs visés dans les oreilles, le volume très élevé. Trop, peut-être. Mais il voulait être sûr de ne pas entendre ses parents si ceux-ci l’appelaient pour une quelconque raison.
Il s’était encore engueulé avec. Encore et toujours pour le même motif: sa prétendue maladie.
On ne choisit pas sa famille, c'est un fait avéré, car Nathaël n'aurait jamais, mais alors là jamais, choisis ses parents, ces deux catholiques à l'esprit étriqué et aux convictions profondément ancrées et parfois dépassées.
Sa liste iTunes mise sur aléatoire s'arrêta sur When I was Young de Supertramp, dont les premiers accords lui éclatèrent aux oreilles, mais il en avait cure.

When I was young, it seemed that life was so wonderful,
A miracle, oh it was beautiful, magical.
And all the birds in the trees, well theyd be singing so happily,
Joyfully, playfully watching me.
But then they send me away to teach me how to be sensible,
Logical, responsible, practical.
And they showed me a world where I could be so dependable,
Clinical, intellectual, cynical.

A l'image de ces premières paroles, oui, son enfance fut heureuse...sans doute pour la simple et bonne raison qu'alors, l'innocence de la jeunesse faisant, il ignorait complètement toutes ces histoires d'orientation sexuelle. Très tôt, on l'emmenait déjà à la messe du dimanche -il fut d'ailleurs très fier le jour où le prêtre lui remit son premier Testament- mais, par la suite, il se détacha peu à peu de cette éducation chrétienne, rechignant à accompagner ses parents à l'église, tôt le dimanche, au lieu de pouvoir dormir de tout son soûl. Mais à part ce désagrément hebdomadaire, sa vie s'écoulait doucereusement. Il allait donc la petite école de quartier, jouait à la balle dans les rues -même si le football n'était guère son sport favori-, faisant des pieds-de-nez aux automobilistes qui passaient. A ses anniversaires, il invitait une poignée de copains et mangeaient des crêpes dans le jardin, sur un drap quadrillé. Tout cela était cliché sans doute, mais ces clichés étaient si agréables, au fond. Oui, il estimait son enfance comme étant une période magnifique de sa vie, la meilleure peut-être, loin des frustrations adolescentes qui allaient bientôt lui tomber dessus.

La seconde chanson démarra automatiquement à la seconde même où la précédente prit fin. Un titre plus récent, bande-originale d'un film qu'il aimait beaucoup. Ses lèvres bougèrent mécaniquement en un play-back distrait sur We are young de Mika.

We are young
We are strong
We’re not looking for where we belong
We’re not cool
We are free
And we’re running with blood on our knees

Mika était un peu son...modèle. En moins bariolé et excentrique, peut-être. Certes, son coming-out était récent, mais cela -en plus d'être très bien passé aux yeux de tous- n'avait surpris personne. Le rêve, pour lui. Mika avait attendu trop longtemps au goût de Nathaël pour s'assumer. Lui, avait voulu mettre les choses au clair le plus rapidement possible, pour ne pas attendre ses 20 ans, voire plus, pour aimer un garçon en pleine lumière, sans se cacher. En effet, le jeune Nathaël avait commencé à se poser certaines questions légitimes pour un jeune adolescent. Quel plaisir pouvait-on trouver à reluquer le décolleté des filles, fantasmer sur le galbe de leurs seins, être obsédé par elles, frémir lorsque l'on s'imagine parcourir leur corps nu de leurs mains, de leurs lèvres et plus encore ? Il n'en savait rien du tout. Lui, ce qui le faisait rougir, c'était les bosses dans les maillots, les douches communes après les cours d'éducation physique -où son regard s'égarait parfois sur l'un ou l'autre torse musclés-, les barbes mal-rasées. Lorsqu'il fermait les yeux et se touchait, il ne pensait guère à ces filles, ni à jouer le rôle principal dans l'histoire, mais il n'osait penser aux autres garçons, de crainte de confirmer ces oeillades dans les douches. La confirmation, le déclic, se fit seulement alors qu'il tapait pour la première fois sur son moteur de recherche un site de vidéos homosexuelles, qui auraient fait frémir ses géniteurs. Dans le secret de sa chambre, il se mit à trouver un certain charme à ces corps nus. Bien évidemment, il fit la transposition sur sa vie réelle, s'imaginant dans les bras de tel ou tel camarade. Seulement, il avait ce vide autour de lui. Il avait beau chercher et pousser ses investigations, il ne trouvait aucun autre homosexuel à découvert pour assouvir ses désirs de plus en plus ardents. Sa main était bien gentille, mais ce n'était pas ça qu'il recherchait. Il voulait du contact, des baisers, des étreintes. Mais une idée germa dans sa tête, en lisant un magazine people chez le coiffeur. Les stars côtoyaient les stars, alors qu'il était quasiment impossible pour des anonymes de les rencontrer et d'entrer dans leurs cercles. DONC, il ne pouvait entrer en relation avec des homosexuels s'il ne se considérait pas comme tel, publiquement surtout. Pour réussir le parfait coming-out, il avait lu une tonne d'articles sur Doctissimo. La plupart se déroulait bien, à la grande surprise des personnes concernées.
Inspirer. Respirer. Inspirer. Respirer. "Maman, papa, j'ai quelque chose à vous dire. J'aime..." Il avait beau tenter de se faire un petit discours d'entrainement en tête, ça sonnait mal. Mais il ne voyait pas tellement comment faire autrement.

Fini Mika. L'heure était à McFly. The Heart Never Lies. Toujours aussi assourdissant. Nathaël ignorait totalement ce qui pouvait bien se passer au rez-de-chaussée, et s'en foutait terriblement en réalité. Il se sentait complètement étranger à toute sa famille, l'agitation qui pouvait régner en bas. Dans sa tête, il ne comptait même plus au sein de la cellule familiale Garza-Byrd. Il était comme de trop. Il voulait sans doute être considéré comme tel et ne faisait rien pour s'intégrer de nouveau dans cette famille. Sauf pour sa soeur, un minimum moins folle que ses parents. Tout aussi décidée à lui faire aimer les filles, mais pour une raison étrange, il continuait d'avoir de l'affection pour elle...même s'il lui faisait un coup de chien en ce moment, dont il tirait une grande satisfaction...

Some people fight, some people fall
Others pretend they don't care at all
If you wanna fight, I'll stand there beside you
The day that you fall, I'll be right behind you

Il s'était battu pour se faire accepter, mais de toute évidence, il était aussi tombé. Et en plus, il avait eu peur. Il s'était dévoilé à ses parents et il pouvait désormais dire que toutes ces histoires de chez Doctissimo, c'était des conneries. Ses parents furent choqués, outrés, et tout ce qu'il peut y avoir de plus négatifs comme sentiments. Sa mère ne pleura même pas -sans doute à cet instant, elle songeait déjà qu'il était peut-être envisageable de le ramener sur le droit chemin à grand renfort de prières- et son père le gifla. Ravalant ses larmes, il se hâta de remonter dans sa chambre et de s'y enfermer pendant de longues heures. Peut-être 2 jours, qui sait ? Il avait super faim et se sentait sale, la fois où il avait ouvert de nouveau sa porte. Le pire, c'est que seule sa soeur vint frapper à sa porte pour lui demander des nouvelles, mais malgré son affection, il l'ignora.
Mais, heureusement, quelqu'un était derrière lui. Thésée Sweetlove, qu'il rencontra lors d'une réunion de famille quelconque. Lui qui, d'habitude, détestait ce genre de rassemblement fut néanmoins enchanté d'avoir fait sa connaissance. Il y a eut une alchimie entre eux. Pas un coup de foudre, non -Nathaël n'était pas amoureux de Thésée- mais une sorte de...compréhension réciproque et inexpliquée. Très rapidement, ils ont sympathisé. De même pour Laoïri qui, elle, ne se contenta nullement d'une amitié platonique, vu qu'elle annonça plus tard ses fiançailles. Sur le moment, Nataël n'avait pas compris ? Comment avait-il pu se sentir si compris par un hétérosexuel ? Ce n'est plus tard qu'il comprit la situation -si on peut un tant soit peu la comprendre- lorsqu'il fit l'amour avec Thésée, pour la première fois. C'était sûrement une histoire d'homosexualité refoulée, et maintenant qu'il était engagé avec Laoïri, il ne pouvait reculer. C'était vraiment mal de coucher avec le fiancé de sa soeur, mais il aimait tant ce danger, cette sorte de vengeance face à ses regards de pitié ou de dégoût. Le Nataël de ses origines n'aurait jamais commis une telle tromperie envers sa soeur, mais depuis l'accueil glacial de son coming-out, il avait changé. Changé, oui. Cela ne voulait pas dire qu'il s'était amélioré, loin de là. Il espérait secrètement que sa soeur les surprenne, juste pour qu'elle soit brisée, comme lui aussi a été brisé face à l'incompréhension de sa famille.

I'm about to lose my mind
You've been gone for so long
I'm running out of time
I need a doctor
Call me a doctor
I need a doctor, doctor
To bring me back to life

Le changement fut si soudain que Nataël en sursauta. Skylar Grey venait de susurrer -malgré le volume à fond- ces paroles issues de son morceau en featuring avec Eminem. Il n'aimait pas spécialement ce genre de musique. A vrai dire, il passait la partie rappée par Eminem, en faisant défiler son doigt sur la barre de lecture. Mais il aimait énormément le refrain, alors il laissait sa chanson sur son iPod.
C'était drôle que certaines personnes réclament un docteur. Enfin, sans doute que si t'es à l'aube de la mort, tu es bien content d'avoir un médecin pour te guérir, mais sinon, la plupart des gens normaux aimeraient s'en passer... Nathaël était, quant à lui, obligé d'aller chez le docteur. Un psychologue, plus particulièrement. Il était réticent, au début. Toujours cette même appréhension de se confier à quelqu'un -pour ce rôle, Thésée lui suffisait amplement. Mais s'il obtempéra à la demande de ses parents sans rechigner, c'est sûrement parce qu'il s'imagina raconter des idioties au psychologue pour qu'il le croie fou à lier. Leur premier rendez-vous fut assez étonnant. Nathaël ne put s'empêcher de sourire à l'évocation de ce dernier.
Après avoir patienté dans une salle d'attente pendant ce qui lui sembla être une éternité, une femme quelconque sortit du cabinet et le psychologue l'invita à entrer. Etonnement, il lui désigna une chaise sur laquelle s'asseoir, alors que Nathaël était plus intéressé par ce sempiternel canapé. "Qu'est-ce qui t'amène ici ?" avait-il demandé. "Ma mère." Le psychologue avait souri. "J'imagine bien, mais quel est ton problème ?" "J'en ai pas. C'est elle qui en a un." Le psychologue -assez mignon pour ainsi dire et qui aurait pu très bien figurer dans les films que Nathaël se plaisait à regarder- prit un air professionnellement concentré. "Elle pense que je suis malade. Juste parce que je suis gay." Bon, pour les conneries, on repassera... Le psychologue -Nathaël n'avait pas encore retenu son nom ce jour-là- secoua la tête. "Je peux rien y faire. Ce n'est pas une maladie et je ne sais pas faire de miracle pour que tu changes..." "J'ai pas envie de changer." "Je peux rien faire alors." Mais Nathaël avait quand même insisté pour se coucher sur le canapé et raconter sa vie. Au fond, c'était plus facile que ça en avait l'air. A la fin convenue du rendez-vous, Nathaël avait demandé s'il devait revenir et le psychologue avait répondu "Ca me ferait plaisir, oui." et sa main avait frôlé ses fesses. Accidentellement, avait alors pensé Nathaël. Mais peut-être pas, étant donné que deux semaines après, ils faisaient l'amour sur le fauteil en question, puis sur le bureau. Non. Pas l'amour. Il n'y avait rien de sentimental de la part de Nathaël là-dedans -il se sentait incapable d'aimer, lui qui avait fait son coming-out exprès pour trouver l'amour... En fait, il n'avait pas envie de s'attacher à quelqu'un qu'il pouvait perdre. Mais il l'aimait bien, hein. C'était pas comme avec Thésée. C'était différent, mais Nathaël aurait eu du mal à expliquer en quoi cela changeait. Sans doute la manière de s'y prendre... Peu importe, au fond. Enfin, c'était déjà étrange que quelqu'un le désire aussi tendrement, lui qui était désormais si imbuvable. M'enfin.

La chanson prit fin et, durant le cours laps de temps avant que la nouvelle mélodie reprenne, la voix de sa mère déchira l'air. "C'EST L'HEURE DE TON RENDEZ-VOUS !" Il y avait une once d'espoir dans cette voix, comme si Nathaël allait revenir changé miraculeusement. La seule crainte de sa progéniture était que, constatant l'absence de résultats probants, sa mère le confie entre les mains d'un autre psy. Ca ne les séparerait pas pour autant, mais ça rendrait plus difficile leurs rendez-vous et leurs ébats. Néanmoins, l'actuel avait un grand avantage: Etant donné qu'il ne faisait rien pour aider Nathaël -au contraire, il avait plus tendance à le conforter dans son orientation- ses honoraires étaient largement réduits.
Nathaël, sans couper sa musique pour autant, descendit et monta dans la voiture, dans laquelle sa mère l'attendait.

Everybody's got a dark side
Do you love me?
Can you love mine?
Nobody's a picture perfect
But we're worth it
You know that we're worth it
Will you love me?
Even with my dark side?

En se dirigeant vers un très prévisible acte charnel, c'était bien les mêmes questions que Kelly Clarkson que Nathaël se posait. Il avait très certainement un côté sombre actuellement et pourtant il avait réussi en un temps record à se mettre deux garçons dans la poche. Après, l'amour et tout ça, c'était une autre paire de manche.
Il entra dans la salle de consultation et Pyram -car tel était le nom du psychologue- l'accueillit en l'embrassant, la main autour de sa hanche. C'était un baiser délicat mais intense, un vrai. Et si...
Non. Nathaël éluda ce doute, et s'abandonna complètement. Il se sentait comme une putain presque, à jouer avec son corps sans s'occuper de son coeur. Mais peut-être c'est ce qu'il était, au fond. Il ne voulait pas, mais peut-être que c'était comme son homosexualité... Inéluctable.