« Cameron, mon amour, viens ici » Je soupire. « MAMAN, CAM PAS CAMERON OK ? CAMERON CA FAIT FILLE C’EST PAS BEAU CAM C’EST PAS BEAU NON PLUS MAIS C’EST PLUS COURT DONC AU MOINS C’EST PAS BEAU MOINS LONGTEMPS ». Je m’emporte à peine. Chose rare cependant. Mon prénom doit être la seule chose avec laquelle je ne déconne pas. Ça et Adriel. Mais ma mère n’a aucune raison de dire quoique ce soit à propos de lui vu qu’elle sait à peine qu’il existe, pense que nous sommes juste bons amis et n’imagine même pas le fait que je puisse être autre chose qu’hétérosexuel. Mon père aussi d’ailleurs. Alors qu’ils m’ont déjà croisé main dans la main avec certains de mes exs, que je passe ma vie à aller « prendre un verre » ou « au cinéma » avec Adriel. C’est dingue la façon dont on peut refuser d’admettre ce qu’on ne veut pas voir quand même. Mes parents sont très forts pour ça. « Oui, Cam, si tu préfères, je ne comprends pas pourquoi tu fais une fixette là-dessus depuis quelques années, c’est dingue quand même… » Je hausse les épaules. « Bref, qu’est-ce qu’il y a ? » Elle prend un air un peu gêné. « Ecoute Camer… Cam, il y a une conversation qu’il faudrait qu’on ait je crois ». Je n’arrive pas à retenir une exclamation surprise. Au temps pour moi, elle n’est pas complètement débile, elle a compris que j’étais bi. « Normalement ton père aurait dû l’avoir avec toi, je l’ai eu avec Leanne après tout, chacun son boulot mais c’est ton père il est un peu… » « Coincé ? » Elle élude d’un petit signe de la main. « Je veux juste m’assurer que tu traites les filles correctement. Et qu’on ne va pas se retrouver avec un procès sur le dos pour paternité indésirée ». Elle est donc vraiment stupide. Je ferme les yeux une seconde et les rouvre. « T’inquiète pas va, pas besoin d’avoir cette discussion, y a aucun risque ». Je m’apprête à sortir de la pièce mais je me retourne au dernier moment. « La prochaine fois, envoie papa, t’as raison c’est son rôle… Et demande-lui de se documenter sur le SIDA avant. Ça devrait plus vous inquiéter que les jeunes filles enceintes ».
« Tu m’as appelée ? Petit cœur a besoin de sa grande sœur préférée ? » Je lève la tête de mon oreiller et jette un coup d’œil à Leanne. « Nan, j’essaie de me remettre là, j’ai dépassé les limites du raisonnable question boisson hier soir, j’essaie de petit un, me débarrasser de ma gueule de bois, petit deux, de me souvenir de ce que j’ai fait et petit trois, d’éviter de croiser qui que ce soit avant d’avoir fini les petits un et deux ». Il en faut cependant plus pour décourager ma sœur. Elle s’assoit sur mon lit en me poussant sans délicatesse ce qui m’arrache un grognement. « Bouge. » Elle me met son portable sous le nez et me montre un texto. « Adri, je suis vraiment désolé rappelle moi. » Et merde. Je me suis encore trompé. A force de donner des surnoms à tout le monde dans mon répertoire je passe ma vie à confondre Connasse (ma sœur) et CoeurCoeurCoeur (Adriel). Faut dire qu’ils sont à côté dans l’ordre alphabétique. « Je ne t’ai pas appelée toi Leanne, tu connais encore ton prénom, non ? » Elle m’ignore. « Raconte. » Je ne réponds pas. « Cam, je déconne pas, raconte, maintenant ! » « Nan tu m’soules dégage de là, ça va j’ai pas besoin de toi, t’es mignonne avec moi quand ça t’arrange, juste quand tu veux des ragots. T’en a rien à foutre, personne n’en a rien à foutre, à part Adriel et j’ai encore tout gâché so get out ! » Elle hausse un sourcil. « Je ne sais pas si c’est censé m’impressionner mais je te connais par cœur, tu vas pleurer dans moins d’une minute vingt-huit et non seulement tu seras content que je sois là mais en plus tu vas me raconter. Ah et au fait… » Elle me gifle. « Ne dis plus jamais que personne n’en a rien à foutre de toi, compris ? » Je gémis. « Aie ma tête… » Elle n’a pas tort cependant. Je sens les larmes me monter aux yeux depuis un bon moment déjà et en parler n’a pas arrangé les choses. Je les refoule cependant du mieux que je peux. Je suis un homme, oui monsieur. « Je ne pleurerai pas Leanne et je ne te raconterai pas ». Elle me regarde dans les yeux pendant une bonne dizaine de secondes et semble se résigner. Pour la première fois ou presque. « Bon bah viens alors, on va regarder le Roi Lion » Je saute sur mes pieds et la suit vers le salon. Le Roi Lion est le meilleur film de tous les temps, rien de mieux pour me remettre d’aplomb.


La musique est trop forte. Ma tête tourne. J’ai beaucoup trop bu, encore une fois. Peut-être même que je suis défoncé. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Nous sommes venus ici à quinze mais je ne trouve plus aucun de mes amis. Je crois que je viens de laisser une fille seule quelque part. J’essayais de rendre jaloux Adriel. Et puis j’en ai eu marre. Alors je suis parti. Sans rien dire à la fille. Qui doit toujours être dans le coin. Quoique peut-être pas. J’ai perdu toute notion du temps. Je ne sais pas si je viens de la laisser ou si je l’ai fait il y a deux heures. Je ne sais pas s’il est minuit ou six heures du mat. Peut-être entre les deux. Peut-être plus tard. Je vois un peu flou, le rythme de la musique est trop rapide, impossible de me concentrer sur quoi que ce soit. Je m’assois sur le premier tabouret que je croise et regarde ma montre. Les chiffres dansent mais je finis par réussir à lire l’heure. 6h43. Je ne rentrerai pas chez moi ce soir. Mes parents sont déjà levés et je ne peux pas les croiser dans cet état. Je réfléchis à une façon de me reposer quelques heures quand je le vois. Il est sur la piste. Avec un mec inconnu. Qui est clairement en train de l’embrasser. Et ça n’a pas l’air de le déranger plus que ça. Au contraire. Je connais Adriel par cœur. Je le comprends limite mieux que je ne me comprends. Et quand il cherche à m’énerver, il me cherche du regard pour me faire un grand sourire provocateur. Ce qu’il ne fait pas. J’attends quelques secondes avant de me lever. Je vacille un peu mais arrive jusqu’à eux en marchant aussi droit que possible. Je tapote l’épaule de Mr Unknown. Il se retourne. Et je lui envoie mon poing dans la gueule. Sans réfléchir. Comme ça. Il est trop surpris et bourré pour réagir. Je lance un regard noir à Adriel et sors de la boîte. Tant pis. Je rentre chez moi. Même si Leanne va se foutre de ma gueule. Parce que je pleure. Encore.
« Je suis désolé. » Je hausse les épaules. « Je m’en fous. » Je serre les dents. On ne pleure pas, on ne pleure pas, on ne pleure pas. « Réagis pas comme ça Cam, t’étais avec une meuf trente secondes avant ! » Je tourne la tête vers lui. « La différence entre toi et moi, c’est que je le faisais pour t’énerver, comme d’hab. Je… » Je prends une grande inspiration, me lève, fais les cent pas et me rassois. « J’en ai marre de ces conneries. Tout en sachant que je vais choper la première occasion de me venger, parce que tu le mérites, parce que pour que j’en devienne violent, il faut qu’il y ait des raisons. C’était la première fois que je donnais un coup de poing à quelqu’un, je me suis fait super mal ! » Je lui montre mon bandage à la main droite. Il le regarde d’un air moqueur. « Oh, shut up. Je te parle sérieusement. Je… Tu sais bien que je… » Je ferme les yeux. Je suis encore énervé à cause de cette histoire et j’ai du mal à dire ces mots. Comme d’hab. Mais comme d’hab, il comprend. Je sens ses bras m’entourer. « Moi aussi. » Je pose ma tête sur son épaule en soupirant. Comme d’hab, je me suis fait avoir comme un con. Je n’arrive jamais à rester énervé très longtemps contre lui. Et même si je sais que c’est réciproque, je me sens con. A chaque fois. « Cam, est-ce qu’on sort ensemble ? » Je me redresse un peu. « Je sais pas. Honnêtement, je sais pas. » « Et tu préfèrerais que la réponse soit quoi ? » Je me mordille la lèvre et me rassois normalement. « Je préfèrerais que ce soit oui. Mais je sais aussi que mon ego me forcera toujours à te faire payer des coups comme vendredi soir. » Je m’arrête une seconde. « Et toi ? » Il hausse les épaules. « Moi, je t’aime » Je souris et l’embrasse doucement sur les lèvres. « On a qu’à dire qu’on sort ensemble » « Mais qu’on a le droit de se faire des blagues ? » Je regarde mes pieds. « Si ce sont vraiment des blagues. » Nous high fivons pour sceller notre accord. «On a quand même l’air sacrément cons ! » Il rit. « Ça va ouais ! Romantiques à pleurer. On est cute » Je hoche la tête. « Yes we are. »