Il est deux heures du matin. Un hurlement. Je flippe, jusqu'à ce que je m'aperçoive que c'est moi qui crie comme un dératé. Ces foutues terreurs nocturnes me bouffent toute mon énergie. J'ai beau faire jouer les apparences, je sais que les gens sont pas dupes. J'ai toujours été un gamin assez vif, nerveux. Une pile électrique. Quand on habitait encore à Southampton, ma maîtresse d'école ne me supportait pas. Elle disait toujours à mes parents que je deviendrais un délinquant, que je terminerais ma vie au fond d'un caniveau, parce qu'à part emmerder les gens, je savais pas faire grand chose. Et j'y ai cru pas mal de temps. J'avais 4 ou 5 ans quand on est arrivés à Heaven Hill. Ma mère était enceinte jusqu'aux oreilles, n'arrêtait pas de gerber, et je crois que c'est à ce moment que mon père a arrêté de faire semblant de l'aimer. Il y avait ce vide dans ses yeux, ce truc incroyable, dans lequel je tombais à chaque fois que je croisais son regard. Même aujourd'hui, quand je viens manger à la maison le Dimanche et que l'ambiance à table est catastrophique, je lève les yeux et j'ai envie de chialer en l'observant.

Je crois que ma vie a changé quand ma mère a accouché. J'avais pas hâte d'être un grand-frère. Trop de responsabilités. Un sapin de Noël à partager. Moins d'attention, moins d'amour. Autant vous dire que quand j'ai vu cette immondice rose pâle dans le couffin, j'ai pris peur. Ma mère avait donné naissance à un salami. Et puis ce salami a ouvert les yeux, ces putain de grands yeux marrons, énormes, et il a attrapé mon doigt. L'a serré très fort. Je suis tombé amoureux de mon petit frère à ce moment là. Ce jour-là, j'ai fais une promesse à ma mère : Maman, je veillerais toujours sur Ellis. Même si je dois en mourir. Et j'ai pas tenu ma promesse.

Mon frère est mort il y a 2 ans. J'ai jamais vraiment su pourquoi, ni comment. C'est arrivé, puis y'a eu un trou noir dans ma vie. Un foutu vide que je ne suis toujours pas arrivé à combler. Parfois je vais au skate park, y'a très peu de lumière, je roule dans le vide, je me cogne partout, je me fais mal, je hurle, je gueule au ciel que Ellis me manque et que j'arrive pas à vivre correctement sans lui. Personne me répond. J'ai perdu ma foi quand le sourire de mon frère a disparu des photos de famille.

Alors aujourd'hui, je me balade. J'écoute de la musique très fort, pour faire taire mes pensées. Je parle tout le temps, pour éviter que les gens voient que quand je suis silencieux, les ombres me bouffent le regard. J'essaie d'être toujours entouré, parce que l'idée même de solitude me terrifie totalement. Parce que j'ai pas envie de mourir seul, vous voyez ? C'est juste le pire truc de la Terre, je crois. Et surtout, j'aime. J'aime passionnément, violemment, à en souffrir. Je devrais apprendre ma leçon. Mais on m'a toujours dit que j'étais un chieur.